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Stockholm Syndrome
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1 février 2014

5-III) Appel à témoins, appel à l'aide

L'on pourra s'étonner que je reprenne ce journal, puisque je prétends avoir guéri. Mais ce journal était inachevé - sera-t-il un jour terminé ? Sa troisième partie, La délivrance et le vide, a pour ambition de rassembler toutes les traces écrites au sujet de mes rapports avec mon abusant mineur. Traces autobiographiques, et traces littéraires. Ce journal ne serait pas complet si je n'y rapportais pas mon premier témoignage et l'ensemble des textes poétiques inspirés par le traumatisme. Je ne suis plus dans l'émotion d'il y a encore trois ans. Maintenant je peux en parler froidement. Est venu le temps de l'analyse et du bilan, à tête reposée. Le temps de boucler l'affaire et de classer le dossier mais non sans avoir collecté de ci de là toutes les pièces manquantes, lesquelles font partie du processus de guérison.

Certes je vais mieux. Est-ce que je vais bien ? - C'est une autre histoire. Je suis toujours incapable de m'engager dans une relation sentimentale sans avoir la sensation d'étouffer. Je serais incapable de travailler de nouveau dans une école. Et j'ai beaucoup de mal à discuter avec une personne ayant été elle-même victime de viol, parce que ça me ramène en droite ligne à ce que j'ai vécu dans mon enfance, à la différence que ces personnes-là se souviennent avec précision du visage et de l'identité de leur abusant, se souviennent avec précision de ce qu'on leur a fait endurer, se souviennent avec précision de l'âge qu'elles avaient au moment des faits, se souviennent avec précision de l'endroit où ça s'est passé, et ce n'est pas mon cas. Mes trous de mémoire me font penser que j'affabule, et que je suis mythomane.

Pourtant - le traumatisme n'est-il pas la preuve en soi qu'il s'est passé quelque chose de grave, de si grave que ma vie entière en a été bouleversée, que ma vie entière, encore au jour d'aujourd'hui, subit sa funeste influence. Et puis je garde en mémoire des images très nettes qui, séquence par séquence, esquissent le plus effrayant des scénarios : les WC à la turque ; la chasse d'eau automatique ; le couteau en plastique ; le regard de mon abusant mineur. Je sens, dans toutes mes fibres, sa présence et sa stature cependant que je me courbais à ses pieds. Je ressens le froid de l'air et le froid de l'eau. Tout ça, je ne l'ai pas inventé. Quelles que soient les circonstances dans lesquelles s'est déroulé, plusieurs fois de suite, l'implacable rituel, cette histoire est véridique, elle a bel et bien existé.

On ne tombe pas malade, comme ça, pour le plaisir d'être malade et de se faire plaindre. Se faire plaindre par qui, d'ailleurs ? - Il y a si peu de gens à qui j'ai confié ma mésaventure. Le silence, était ma devise. Le silence est la devise des victimes. On ferait n'importe quoi, on dirait n'importe quoi, pour éviter d'avouer la vérité. Parce que la vérité nous fait honte. Parce qu'une victime se sent toujours coupable. Parce qu'elle devient coupable, de par son silence et son consentement.

Ce silence qu'on s'impose à soi-même, comme s'il coulait de source qu'il faut se taire pour préserver un minimum d'amour-propre, cette chape de plomb qui nous pèse sur les épaules à chaque pas que l'on fait, un jour ce silence est ressenti comme un supplice encore pire que celui qu'on endure par ailleurs. Alors on brise le silence. On crie. On appelle au secours. Et c'est ce que j'ai fait au mois de février de l'année 2010, en appelant au secours sur mon blog Le Masque de la Victime. Un appel à témoins, bien souvent, c'est un appel à l'aide. On n'en peut plus d'être seul. On tend la main, dans l'espoir que quelqu'un la saisisse pour nous tirer du trou. Dans l'espoir plus ambigu, presque morbide, d'alerter l'auteur de nos tourments. Rien ne vaudrait une bonne explication avec son tortionnaire. Mais ça n'arrive jamais, jamais, jamais.

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