16-III) La victime aime son bourreau
Samedi 6 février 2010, Le Masque de la Victime - Je souhaiterais revenir sur cette notion paradoxale et choquante, laquelle apparaît en clair dans le message d'accueil du Blog : "La victime aime son bourreau ". Pour l'expliquer je ne peux bien sûr me référer qu'à ma propre expérience.
Je ne sais pas dans quelques circonstances ont commencé les maltraitances. Je me souviens d'une cour avec des platanes, je me souviens très bien de cette cour. Est-ce là que je me suis fait aborder par mon bourreau, pendant la récréation, un matin ? Ou bien me suis-je fait surprendre aux sanitaires ?
Toujours est-il qu'en moins de temps qu'il faut pour le dire je tombai dans la dépendance. Le rythme de nos rencontres obéissait à des règles strictes, dictées par les heures de récréation. Par conséquent toujours à la même heure. Toujours au même endroit : les sanitaires. Combien de fois, pendant combien de temps : je ne sais pas. Pour moi, j'étais un automate fidèle au rendez-vous. Je ne pouvais même pas imaginer être ailleurs, avec d'autres personnes qu'elle ou lui, pendant la récréation du matin.
A-t-elle/il fait pression pour obtenir de moi cette régularité-là ? Avais-je reçu des menaces, explicites ou implicites ? Avais-je peur de représailles en cas de manquement aux rendez-vous ? - Je ne sais pas.
J'y allais un point c'est tout. Et quand la sonnerie annonçait la fin de la récréation je retournais à mes études comme si de rien n'était. Je ne laissais rien paraître de ce qui venait de se passer. Je n'y pensais plus. Jusqu'à la fois suivante où je me rendais mécaniquement aux sanitaires me livrer à elle ou lui pour son amusement.
La ritualisation de ces rencontres était pour beaucoup dans mon état de dépendance. Dans mon esprit, récréation = rencontre. C'était une équation tellement simple qu'elle en était incontournable. Récréation = rencontre.
Mes jeux d'enfant c'était devenu les siens ou plutôt devrais-je dire : les nôtres. Je ne décrirai pas ce qu'elle/il faisait. Il n'y a pas lieu de décrire ici les sévices qu'elle/il m'infligeait. Je préfère m'attacher à l'aspect psychologique de ces retrouvailles immanquables et quotidiennes. Je me souviens qu'elle/il ne me forçait pas à faire quoi que ce soit. Sans doute, me donnait-elle/il des ordres et moi, le cerveau lavé, j'obéissais, parce qu'elle/il était plus grand(e), plus fort(e), plus âgé(e) que moi. Je crois que j'avais terriblement peur d'elle ou lui. Si terriblement peur que je préférais d'instinct être en sa compagnie à la/le subir que loin d'elle ou lui à prendre le risque de m'attirer les foudres de sa colère.
Sa noirceur, je l'éprouve encore dans ma peau comme une bête. Elle m'hypnotisait. Elle m'a fait tomber en transes, sa noirceur, jusqu'à me faire faire n'importe quoi. Je voyais bien qu'elle/il s'amusait avec d'autres enfants, qu'elle/il leur faisait pareil qu'à moi, mais c'était comme dans un rêve éveillé. Pas la réalité. Pas la réalité.
La réalité c'était quand je m'asseyais devant le tableau noir, quand je retrouvais ma mère le soir, quand je faisais mes devoirs et que je rangeais mes jouets. Ça, oui, c'était la réalité. Elle ou lui ce n'était même pas un cauchemar (pas encore) tout juste une vie parallèle, pas vraiment la mienne, et je n'avais pas conscience de porter en moi le poids d'un terrible secret.
Et puis est venu ce jour où tout a basculé : quelqu'un l'avait dénoncé(e). Dans la cour, ce matin-là on la/le renvoya théâtralement. Verdict : " Coupable. Elle/il tapait les petits ".
Et comme c'était étrange, elle/il ne se défendait pas, elle/il ne désignait pas ses complices, elle/il ne parlait pas de moi qui lui était pourtant si honteusement fidèle. Elle/il était calme. Elle/il est parti(e) la tête haute. Enfin je crois. Peut-être pleuvait-il ce matin-là. Moi j'étais en larmes.
Dépendance affective ? Au moment de son départ il me semblait ne plus connaître au monde qu'elle ou lui, c'est vrai qu'on se connaissait bien, je n'avais plus rien à lui cacher, elle ou lui m'avait montré tout ce dont elle/il était capable. En quelque sorte on était lié. On était lié par le crime. On était lié par le plus sordide des secrets.
"La victime aime son bourreau ", dans la mesure où la séparation vous renvoie à vous-même, à la solitude sans garde-fou, à votre malaise, à votre peur d'être démasqué tous les jours de votre vie que vous vivez comme une machine cassée. "La victime aime son bourreau " parce qu'il vous habite et vous possède, il ne vous lâche plus, c'est votre ombre fidèle, ou bien est-ce vous que êtes son ombre fidèle. "La victime aime son bourreau " parce qu'inconsciemment vous vous acharnez à reproduire le schéma de vos rencontres avec lui chaque fois que vous rencontrez quelqu'un d'autre. La victime aime son bourreau mais le bourreau n'aime pas sa victime : il s'en va faire d'autres victimes.
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De l'extérieur, la relation victime/bourreau, pour peu qu'elle s'établisse sur une certaine durée, peut s'apparenter à une relation sadomasochiste. La victime encaisse avec une certaine complaisance. Ce n'est pas qu'elle aime ça. C'est parce qu'elle n'a plus le choix.
15-III) Violences anonymes et anachroniques
Mon bourreau. N'est-ce pas un peu possessif ? Comme si, de toutes mes forces, je repoussais l'idée qu'il y ait eu d'autres victimes que moi. Or il y en a eu, je m'en souviens très bien. Et même si je me trompe en affirmant qu'il y avait plusieurs victimes et plusieurs intervenants présents dans les sanitaires de l'école en même temps que moi (elle ou lui + 2 ou 3 acolytes) c'est un fait avéré qu'elle/il maltraitait d'autres enfants puisque on l'a renvoyé(e).
Si je ne peux l'appeler mon bourreau comment l'appeler alors, puisque je n'ai jamais su son nom. Comment parler d'elle ou lui puisque je ne sais même pas de quel sexe elle/il était. Comment parler d'un être qui ne m'a laissé de lui que le souvenir informel d'une machine infernale, et qui me fait vivre tous les jours de ma vie avec une déchirure dans le ventre, comme si on m'avait arraché les viscères.
La douleur intense, la souffrance, elles sont là, dans l'inaptitude à pouvoir l'identifier, le nommer, l'appeler.
Peut-être bien qu'en soi les épreuves subies n'étaient pas à proprement parler insurmontables. C'est l'après-coup qui me ronge et perturbe ma santé mentale et physique. Cet après-coup qui dure depuis 40 ans, qui s'éternise et me conduit aujourd'hui au point de rupture. Je ne peux plus me taire. Il faut que je sache.
Et si je sais, quand je saurai, je ne ferai pas de vagues. Je n'irai pas dénigrer l'établissement scolaire au sein duquel se sont produits les faits. Je n'irai pas brandir une liste de victimes et de témoins dans le but d'obtenir réparation. Que peut-on réparer, 40 ans trop tard ? On l'a renvoyé(e) de l'école, j'estime qu'elle/il a été bien puni(e). Et puis j'espère qu'elle/il a assez de coeur et de conscience pour regretter ce qu'elle/il a fait.
14-III) Extremis
Dès lors, ça n'arrête plus. J'écris un poème par jour, quelquefois deux par jour. L'écriture s'ancre profond dans l'horreur de la réalité, mais elle est poétique, alors elle élève le supplice jusqu'à des sommets presque mythologiques. Il y a quelque chose à voir avec les peines éternelles infligées à Tantale, Ixion, Prométhée. Je vois ma souffrance en grand. Je lui donne les proportions qu'elle mérite, elle qui me bouffe depuis près d'un demi-siècle. Je veux que le sordide fait-divers de mon enfance, qui ne prendrait au bas mot que trois lignes en entrefilet dans une feuille de chou, s'élève à la hauteur de mon ressenti. En 2008, je souffre bien plus que ne m'a fait souffrir mon abusant mineur. Je me suis trouvé un bourreau bien plus impitoyable que lui. Ce bourreau : c'est moi. Je me persécute au quotidien, jusque dans mes cauchemars, en entretenant sur quelque autel profane enfoui dans mon subconscient, le sombre feu d'une passion inextinguible.
Apprends-moi
La ferraille rougie de tes fourches caudines
Et l’horreur accroupie des grises latomies
Prends-moi tout
Même l’air que je respire
Ton parfum me suffit.
Image - "L'Appui 07" 2/50 by Christophe Hohler (76 x 57) Lithograph
13-III) Victime : un cerveau sous verrou
Mercredi 5 février 2014 - Pourtant. Tous les poèmes que j'ai pu écrire en 2007, 2008, 2009, n'ont pas soulagé ma souffrance. J'éprouve même une peur insidieuse, qui me dissout chaque jour un peu plus. J'ai peur de moi. J'ai peur de ce que je peux faire. J'ai peur de ce que je peux me laisser faire sans m'en rendre compte, ou bien sans me défendre - comme autrefois. Je crois qu'à certains moments de sa vie on peut se sentir damné. On ne sait vraiment plus à quoi se raccrocher, et on croit devenir fou.
C'est dans cet état d'esprit, pour le moins délabré, qu'en 2010 j'ouvre mon premier journal sur Internet : Le Masque de la Victime. Les questions tournent en boucle dans ma tête. Je tâtonne à la recherche de réponses. Certains éléments de réponse amènent d'autres questions. Je tourne en rond, je n'en sors plus, c'est un cercle vicieux. Et pendant tout ce temps je continue à travailler, et je n'évoque pas mes tourments quand je suis en famille. Quarante ans de silence m'ont appris à garder le silence et surtout, quarante ans de secrets m'ont appris à porter un masque en toutes circonstances. Je ne montre pas ce que je pense ni ce que je ressens. Je mens par omission. Je continue à me battre en solitaire contre un fantôme qui me pourrit la vie depuis bientôt un demi-siècle. Pire que tout, je n'ai pas à proprement parler de vrais souvenirs. Juste, un mal être, et des flashes ...
Voyage en Amnésie, Danse et Musique, mise en scène de Marie Nigoul et Tatiana Taneva
«Voyage en Amnésie», création contemporaine, entre danse et théâtre muet, réunit les arts visuels, corporels et musicaux. Ce spectacle nous fait partager l’histoire d’une marionnette amnésique, à la recherche de ses souvenirs pour se reconstruire. La mémoire fonde chacun d’entre nous dans son être, sans elle nous avançons dans un monde étranger et sans repère.
Ce voyage poétique, initiatique nous entraîne dans des émotions profondes à travers les personnages : une marionnette, des masques et deux personnes qui évoluent sur scène dans un jeu chorégraphique, mimé et visuel.
« Parlez tant qu’il est temps »
Vendredi 5 février 2010 - La mémoire me revient chaque jour un peu plus. A ceux qui ont lu "Quand la victime devient son propre bourreau", ce n'est pas toute la vérité. C'est une vérité subjective et violente, une vérité traumatique, l'angle de vue d'une "victime" pour moitié aveugle. Aveugle, dans le sens où je n'ai jamais vu que la mécanique d'une prise de pouvoir d'un être sur un autre, la mécanique d'une prise de possession encore plus mentale que physique.
Je ne me rappelle pas avoir souffert physiquement de mes rencontres avec elle ou lui. L'abus sexuel et les coups n'étaient pas de nature à me blesser physiquement. Reste - que j'étais enfant à l'époque et pour ainsi dire sans défense. On reste donc dans le domaine de l'abus.
Si elle ou lui s'est fait renvoyer de l'école pour violences physiques à l'endroit des plus petits c'est effectivement qu'elle ou lui s'attaquait à des enfants plus jeunes et plus faibles qu'elle ou lui. C'est effectivement qu'elle/il représentait un danger pour les plus jeunes et les plus faibles.
Pour le reste il me faut travailler sur un terrain marécageux. La relation victime/bourreau, du moins telle que je l'ai personnellement vécue à cette époque-là de ma vie, est une relation des plus complexes au monde. Il y a les faits. Les faits bruts. Et puis il y a les sensations, les émotions, les sentiments. Et, le temps passant, le souvenir ou le défaut de souvenir. Et surtout l'aspect fantasmatique qu'ont revêtu, les années passant, ces rapports particuliers.
J'ai besoin de savoir qui c'était. Fille ou garçon ? De quel âge ? En quelle année (pour déterminer avec précision l'âge que j'avais moi-même à l'époque des faits). C'était dans quelle école ?
La question d'âge est primordiale : connaître le sien, connaître le mien à l'époque des faits me permettrait d'évaluer le degré de nos responsabilités respectives.
Si vous avez été victime ou témoin de maltraitances en milieu scolaire, autour de 1970, à V. dans la D., je vous demande instamment de vous manifester.
Pour moi je pense qu'il s'agissait d'une fille. Elle aurait eu deux ou trois ans de plus que moi. Elle avait le teint mat et les yeux noirs. J'ai toujours eu le sentiment que c'était une fille, une fille arabe.
Ce qui me perturbe le plus depuis toutes ces années, ce n'est pas tant ce qu'on a pu me faire subir, que de ne pas me rappeler qui, quand, où.
C'est terrible d'avoir perdu la mémoire, cette partie-là de ma mémoire. Je sais que ces éléments manquants sont cachés quelque part dans mon cerveau, bloqués dans mon cerveau, sous verrou depuis 40 ans.
J'ai pensé que l'hypnose pouvait faire sauter ces verrous. L'hypnose pourrait apporter des réponses à mes questions.
Je ne veux pas me venger d'elle ou lui. Je veux juste comprendre.
J'ai besoin de savoir qui c'était pour comprendre ce qui s'est passé et pouvoir à l'avenir vivre ma vie sainement.
12-III) Apertura
Courant 2008, je me brise littéralement. Il y a dans mon entourage quelqu'un qui m'attire, mais c'est un amour non envisageable. J'ai repris, ou je vais reprendre, contact avec une vieille connaissance pour m'enlever cette personne de la tête. Ce sera un fiasco. L'écriture d'Apertura me prend trois jours, et c'est un des poèmes auxquels je tiens le plus (inutile de préciser qu'il est protégé, tous mes textes ont été déposés). Apertura, en latin, ça veut dire ouverture. Je ne sais même plus pourquoi je l'ai appelé comme ça. Comme l'ouverture du Tannhauser ? Comme une porte qu'on ouvre ? Comme le début de quelque chose, qui signerait la fin de mon calvaire ? - Peut-être, oui peut-être, est-ce le premier d'une série de poèmes de plus en plus explicites. Je ne cherche plus à coder quoi que ce soit. J'en ai marre des secrets qui me rongent de l'intérieur. Je veux pouvoir parler, parler, parler, dans l'espoir qu'on me comprenne à défaut de m'aider. Apertura, ça veut dire je vous ouvre mon coeur et le fond de ma pensée. Voyez comme ils sont vaseux. Apertura, ça veut dire que je ne refermerai plus jamais la porte, et que je parlerai de plus en plus, et de plus en plus clairement, d'abord en écrivant des textes poétiques, ensuite en publiant deux journaux intimes sur Internet.
Coupable
De quel crime
Les récifs de corail
Et les perles de nacre
Ont écroué mon cœur
J’ai la conscience
Tranquille
Je porte à mon cou
Le caillou du scandale
Mais les cris de rancœur
A la merci du sable
Se tassent
Et s’assourdissent
Ainsi tes sandales de cuir
Dont j’ai perdu la trace
Et qui restent l’écueil
Des antiques spectacles
Et du trac
En public
J’ai barré tout ce temps
Par les nuits sans étoile
Mais un vent de panique
A retourné ma barque
Les forces
Me quittent.
11-III) Le psychodrame, un théâtre de la catharsis
De quelque chose de laid, qui consistait en quelque sorte à se faire torcher dans les chiottes, il fallait pour restaurer d'urgence mon amour-propre et ma dignité faire quelque chose de beau. Quoi de mieux que l'écriture poétique pour dire l'abject, et l'inommable ? En 2008, je commençais à prendre mes marques dans la mise en scène poétisée de ma névrose. Méthode d’investigation des processus psychiques utilisant la mise en œuvre d’une dramatisation ... non pas au moyen de scénarios improvisés mis en scène et joués par un groupe de participants, mais en solitaire, avec un stylo bic et du papier. Mon psychodrame à moi.
José Herrera, Psychodrame 1986
Stockholm Syndrome
Caillou
qui fait blessure
est de ces nacres
obscures
qu’on porte
autour du cou.
Pour t’avoir
dans la peau
comme un mal
inconnu
Flétrissure
ô fêlure
de mon enfance
nue.
Dans La Poétique, considérée comme un des premiers écrits théoriques sur le théâtre, Aristote traite de la tragédie et de l’épopée. La notion de « poïésis » est centrale dans ce texte. Elle s’applique à toute création artistique conçue comme une imitation de la réalité sensible. Pour Aristote, ce qui doit primer dans la tragédie, c’est l’intrigue (« drama »). Elle doit nécessairement être composée d’un début, d’un milieu et d’une fin et constituer une unité. La poésie tragique présente ce qui pourrait être « en puissance » (potentiellement). Même lorsqu’elle prend pour thème ce qui est en fait advenu, elle le présente comme pouvant arriver de nouveau. (Lire la suite)
10-III) Et la corde pour te pendre
En 2008, la souffrance se fait plus présente. Elle me somme d'exprimer ce que je ressens. Plusieurs poèmes sont écrits à quelques jours d'intervalle. Ils parlent tous d'un regret, d'une fatigue, et d'un fantasme. T'écrire, c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour me défendre de l'impuissance et du désespoir. Tu n'as pas de visage. Tu n'as pas de nom. Tu me traques au fil du quotidien comme une ombre maléfique. Tu n'as pas d'âge non plus, ni de sexe, tu es indéfinissable, insaisissable, et pourtant j'éprouve dans chacune de mes fibres ton écrasant pouvoir, au-delà des années qui passent et qui ne me guérissent ni de tes outrages, ni de ton absence. Est-ce à dire que tu me manques ? - En quelque sorte, oui. J'aspire à te connaître, aux fins de t'identifier. Je voudrais pouvoir t'approcher, pour savoir, pour sentir, pour comprendre, qui tu es. Je ne pense qu'à te retrouver pour te dire enfin ce que je pense. Je veux ta mort. Je voudrais surtout pouvoir te pardonner.
Un brin d’herbe
et trois bouts
de chanvre
Et ton corps
Et la corde
pour te pendre.
Il me vient à l'esprit que j'ai peut-être quelques raisons d'avoir repris ce journal trois ans après l'avoir brusquement interrompu. Certains événements récents, remarques et comportement des gens, m'ont laissé entendre qu'on n'est pas irremplaçable, on n'est pas inoubliable, on n'est même pas reconnu pour ce qu'on est. N'importe qui d'autre ferait l'affaire dans certaines circonstances. On n'est qu'une espèce de quidam interchangeable, un peu comme un instrument. Alors, forcément, on remet en question la vraie nature de la relation qu'on entretient avec l'autre, quel qu'il soit. On voudrait effacer l'affectif, ce serait tellement plus simple. On pense à se blinder. Ce n'est pas facile. Ce n'est pas facile quand ce qu'on fait, on le fait avec le coeur. On se met en retrait, pour écouter, observer, tout en prenant garde de ne plus trop s'impliquer. Mais grandes sont la stupeur et la déception. On était tellement persuadé de compter pour certaines personnes ... jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'il n'en est rien. Force est d'admettre qu'on s'est encore trompé. L'idéaliste que je suis, dans son incorrigible naïveté, croyait qu'on l'aimait bien. Utopie, utopie ... dans un monde qui se déshumanise, quel regard portent sur nous les autres ?
Et dans le monde d'où je viens, quel regard portais-tu, toi, sur moi ? - Je ne me le suis même jamais demandé. Je n'ai jamais essayé de me mettre à ta place, je n'ai jamais essayé de me mettre dans ta peau. Il paraît qu'il n'y a jamais qu'un seul bouc émissaire. Il n'y en a pas trente-six. Il y en a un seul. Par conséquent, tout le temps que tu nous étions ensemble, nous n'étions pas trois, quatre ou cinq. Nous étions deux : toi, et moi. Que pensais-tu de moi ? Pensais-tu à moi en dehors de nos rencontres ? Comment me voyais-tu ? Est-ce que tu me méprisais ? Tu devais quand même un peu compter sur moi pour garder le silence. Tu te reposais sur moi pour que soit bien gardé notre secret. Tu craignais peut-être que je te trahisse. Et le jour de ton expulsion, dans la cour de récréation (si toutefois je m'en tiens à mon scénario) l'idée t'a t-elle effleurée que c'est moi qui avait parlé, que c'était à cause de moi si l'on te renvoyait de l'école ? Qu'avais-tu dans la tête en me tournant définitivement le dos ? Penses-tu encore à moi de temps en temps ... Ou bien n'étais-je que l'instrument de ton plaisir, interchangeable, un objet sans importance que tu auras remplacé comme on en remplace un qu'on a perdu, un qui s'est cassé.
Est-ce que toi, tu te souviens de mon visage de de mon nom ? As-tu jamais su comment je m'appelais ? Ou n'étions-nous que deux anonymes, deux ombres, oeuvrant dans la pénombre glauque des cabinets ?
Le démon
qui te bouffait
le cœur
ne t’a pas dit
son nom.
Fond de l’œil
Effacé
Souffre et meurs
Prescription.
Trace de toi
dans chacun
de mes gestes
… et depuis
ce temps-là
c’est tout
ce qui reste.
9-III) Indicible, j'ai dit
- Parce que depuis toujours il m'est plus facile d'écrire que de parler.
- Parce que je n'ai pas encore, et n'aurai sans doute jamais, la force et le courage d'en parler à mon entourage proche. J'ai peur d'engager la conversation sur ce terrain.
- Le Blog est une place publique. Ce que je n'ai pas fait il y a 40 ans, je le fais aujourd'hui : je dénonce mon bourreau sur la place publique.
Même si ses déclarations m'ont rendu la liberté, j'en veux terriblement à celle ou celui qui dénonça mon bourreau. En parlant à ma place, il me condamnait à la solitude et au silence. On a renvoyé mon bourreau : je n'ai pas eu le temps de reprendre mes esprits, de lui poser mes questions directement à lui.
A savoir : Pourquoi moi ? Comment expliques-tu que je t'aie rejoint chaque jour dans les sanitaires de l'école, à l'heure de la récréation le matin, sachant ce que tu allais me faire ?
Voilà peut-être la raison pour laquelle j'ai pleuré quand il m'a définitivement tourné le dos ce matin-là dans la cour de l'école. On l'avait reconnu coupable de violence physique à l'égard des petits. Motif erroné. Motif erroné. C'était bien plus grave que ça, quelqu'un l'a-t-il jamais su ?
Ce n'étaient pas des larmes de soulagement. J'avais peur qu'avant de partir il parle de moi. Je ne voulais pas qu'on sache ce qu'il m'avait fait. J'avais tellement honte de ce qui s'était passé. J'avais peur que mes parents souffrent en l'apprenant. J'avais peur qu'ils ne m'aiment plus.
Je me sentais coupable.
Je me sens toujours coupable.
Pour avoir accepté d'entrer dans son jeu sans mot dire et sans me défendre. Pour avoir, d'une certaine façon, par mon silence et ma soumission, donné mon consentement.
Dimanche 2 février 2014 - Aujourd'hui, j'affirme ne plus me sentir coupable. Quand bien même j'aurais participé de mon plein gré à ces jeux dégradants, et même si j'étais en âge d'avoir peut-être vaguement conscience de faire des bêtises, je n'avais ni la force morale ni la force physique de repousser ma (ou mon) partenaire de jeu. D'une manière ou d'une autre je n'ai fait que suivre, et ne me sens pas responsable de ce qu'on m'a fait.
Indicible, j'ai dit
Les témoins sont victimes / Et les victimes acteurs / De l’indicible crime
Indicible, j’ai dit
Consentement tacite / Est au fond du silence / Tire ta révérence
Amour-propre, terni
Les victimes ont des yeux / Les témoins pas de voix / Les acteurs jouent le jeu
De qui vivra, verra
La cendre sous le feu / Ça sent déjà le froid / C’est qu’on en meurt un peu
Chaque jour. Chaque fois
La victime est coupable / En coupable se tait / Les coupables se taisent
Ce que j’essaie. De dire
C’est qu’on a tant souffert / Aux mains de nos bourreaux / Qu’on marchait en enfer / En portant leurs
Flambeaux.
8-III) Post-mortem
Homo homini lupus est (l'Homme est un loup pour l'Homme). La première occurrence de cette locution est chez Plaute dans sa comédie Asinaria (La Comédie des Ânes,vers 195 av. JC.
« L'homme est un loup pour l'homme, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas très gentil pour le loup. » (Serge Bouchard, Quinze lieux communs, Les armes, éd. Boréal, p. 177).
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Quelques semaines, quelques mois avant mon poème Flagrances et déflagrations j'écrivais Post-mortem. Il datent tous deux de l'année 2007. En 2007, recommençaient à me tourmenter au quotidien les vagues souvenirs qui me restaient de l'épisode au combien douloureux de mon enfance - lequel, je l'assure ici en mon âme et conscience, n'a pas réussi à me gâcher mon enfance contrairement à ce que l'on pourrait penser -.
En 2007, j'éprouvais l'incoercible besoin de remettre en scène ce que j'avais vécu à l'école. Mon ami fétichiste et moi nous étions séparés début 2006. Je n'en étais pas encore à inventer le personnage de K., figure emblématique de mon fantasme, qui sublimait en la rendant presque idéale ma relation fulgurante avec mon abusant mineur. K. naquit plus tard, en 2008, de la réédition manquée d'une ancienne relation SM avec une vieille connaissance. En 2007 m'assaillaient les images insoutenables, les images déchirées de mes rapports avec celle que j'appelle Fatima. Jour et nuit, me poursuivait l'indicible cauchemar. Ce n'était plus seulement une hantise, mais une véritable possession.
Parfois, les loups s'attaquent aussi aux animaux domestiques (troupeaux de moutons, chèvres). Près des villes, ils fouillent les poubelles. Les loups poursuivent de préférence des animaux malades, blessés ou affaiblis qu'ils ont plus de chances d'attraper.
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Une bête exsangue toute en angles avec sa gueule maigre son regard d’aigle et pas bégueule et bien dégueu qui vous déglingue et vous rend dingue
Deux bêtes sales au regard jaune qui vous font mal comme des hommes avec leur langue avec leurs ongles
Trois bêtes sombres aux dents aiguës dans la pénombre qui vous font boire de la ciguë qui vous agressent en n’ayant cesse de vous réduire à votre seule ombre
Combien déjà de bêtes exsangues aiguës de gueule aigres de langue ongles sanglants vous ont sanglé dans les îlots de leurs outrances
Et les sanglots de vos chagrins n’y changent rien car cette gueuse à la baguette a fait en sorte qu’on n’oublie pas
Qu’après la porte elle est bien là galère houleuse et gale à bord glacis d’horreur où l’on s’englue tant on a peur d’aller plus bas.