13-I) Dur comme fer

Dimanche 13 février 2011, 12:50 - Pendant très longtemps j'ai cru dur comme fer que vous étiez plusieurs officiantes, plusieurs intervenantes. Vous auriez été au moins deux : toi, qui dirigeais les opérations ; plus une acolyte, plus jeune que toi, qui t'assistait. J'aurais juré, aussi, que nous étions plusieurs victimes, un nombre indéterminé de victimes.

Le problème, c'est qu'entre les faits bruts tels qu'ils se sont produits à l'époque et le souvenir que je m'en suis fait par la suite il y a un gouffre. Un gouffre de non-sens.

Toute l'absurdité de la situation m'est apparue soudain lorsque, en écrivant un roman qui reproduisait cette scène pour la nième fois, me vint à l'esprit qu'il était impensable qu'autant de monde puisse tenir dans un espace aussi réduit que ce minuscule cabinet. A moins qu'il n'y eût pas de cloison, donc pas de porte, comme on en trouve à l'école primaire.

Mais dans un espace ouvert on nous aurait immanquablement vues à l'oeuvre. Or, il semble que personne n'ait jamais rien vu.

---

Tout ce temps, je me suis également demandé si c'était vraiment moi, ta victime. Il se peut que j'aie vu ce que je n'aurais pas dû voir : une petite fille se faire humilier par une plus grande. Tel eût été le choc, alors, que j'aurais gardé le silence. Mais le remords étant (plus encore le sentiment de culpabilité) d'avoir laissé faire sans me manifester d'aucune façon, le témoin que j'étais aurait endossé le rôle de victime.

---

Du plus loin que je me souvienne, je t'ai toujours appelée Fatima. Mais Fatima chez les bonnes soeurs ce n'était pas possible n'est-ce pas ? Si tu t'appelles Fatima, ça veut dire que je fais erreur sur toute la ligne. Ça ne s'est pas passé dans l'école que je crois. Ça ne s'est pas passé en 1967 ou 1968. Je n'avais pas l'âge que je prétends avoir. J'étais encore plus jeune. Ou j'étais plus âgée.

Ça veut dire aussi que toute ma reconstitution des faits est caduque, et qu'il faudrait tout recommencer. Le travail de mémoire, qui ne conduit à rien qu'à des trous noirs. D'où la plus pénible des confusions mentales. A l'appui de mes carnets de correspondance et de mes relevés de notes de l'époque. Auxquels il manque deux années scolaires. La seule personne qui pourrait m'éclairer ne se souvient plus guère de ce qui s'est passé. A moins qu'elle ne mente par omission pour essayer de me préserver. Je ne peux compter sur personne, que sur moi-même, pour faire la lumière sur ces événements. Mais plus j'attends, plus je vieillis, moins je me rappelle, et tout autour de moi, dans ce monde sans voix, vieillissent aussi les protagonistes de l'histoire : témoins, victimes, abusants.

Comments

[terra]

fatima, chez les bonnes soeurs, je crois que c'est possible : j'ai un ami, fils de harkis, né en france en 1967, qui a fait toute sa scolarité dans l'enseignement catholique (ainsi que ses frères et soeurs, dont ceux nés en algérie).
si ça peut t'aider...