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Stockholm Syndrome
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12 février 2011

9-I) Faute de preuve

Samedi 12 février 2011, 08:46 - Maintenant il me faut commencer à évoquer le point le plus dérangeant de l'histoire : la non-existence officielle des faits. Jamais personne n'a rien su de ce que tu me faisais. Comment est-ce possible ?

Est-ce à dire que jamais personne (pas une bonne soeur, pas une institutrice, pas une camarade) n'a vu que nous étions deux (sinon trois mais j'y reviendrai) dans ce maudit cabinet. On ne t'a jamais vu y entrer à ma suite. On ne m'a jamais vu t'y rejoindre. On ne nous a pas prises sur le fait. On ne nous a pas, non plus, vu sortir ensemble ou l'une après l'autre.

On n'a rien entendu non plus. Moi-même je n'ai pas souvenir que tu aies jamais levé la voix contre moi. Je ne me rappelle pas non plus avoir crié ou seulement pleuré. Encore moins appelé. Nous étions la discrétion même. Nous opérions dans le plus grand silence, seulement interrompu, à intervalles réguliers, par le souffle explosif de la chasse d'eau automatique.

La chasse d'eau, tiens. J'avais le nez dessus mais je ne m'en suis jamais relevée le visage ou les cheveux mouillés. On l'aurait remarqué. J'étais à quatre pattes sur la faïence, l'eau m'éclaboussait forcément, mais je me séchais peut-être avant de sortir. On n'a jamais rien remarqué.

Je ne portais pas non plus au visage de marque visible, et pour cause : tu ne m'as jamais giflée, j'en mettrais ma main à couper. Tu me corrigeais à main nue sur les fesses. Je crois que tu te servais aussi de temps en temps d'une sorte de baguette, sans doute prélevée dans la cour sous les platanes. Mais je ne peux rien affirmer, mes souvenirs étant par trop vagues et fuyants. J'avais huit ou neuf ans : je n'avais plus l'âge où mes parents pouvaient observer des traces rouges sur mes fesses.

Ils ne pouvaient pas se rendre compte de quoi que ce soit : je ne disais rien ; je ne montrais rien. Pas la moindre émotion. Quand la séance était levée je sortais du cabinet comme si de rien n'était pour rentrer en classe et me remettre sagement à mes études. Il me semble me souvenir que pendant les heures de cours, tu n'existais pas, ce que nous faisions ensemble n'existait pas. Ça ne me perturbait pas plus que ça. Du moins, rien dans mon comportement ne trahissait mon calvaire et mon secret. Rien.

Le lendemain matin, à l'heure de la récréation, ça recommençait. Nous nous retrouvions en cachette par je ne sais quel tour de force qui échappe complètement à mon entendement. Je sais qu'à ce moment-là je devais être avec toi et que j'étais avec toi. Point.

C'était comme un rituel en dehors de l'espace et du temps. Froid, dur, et silencieux. Scandé par les chasse d'eau glacée. Par les claques que tu m'administrais sur le derrière. Par l'intromission, dans mon corps, de petits couverts en plastique. Une turpitude absolue.

J'ai perdu ma virginité là, dans les chiottes, avec toi. J'ai dû saigner dans l'eau des chasses mais ça non plus je ne m'en souviens pas. Quand, plus tard, j'ai pratiqué l'auto-érotisme dans ma chambre au moyen d'un stylo bille, je n'avais plus rien à perdre, je ne risquais pas de tacher les draps. Le sang était parti dans l'eau des cabinets quelques mois ou quelques années plus tôt.

Et puis un jour, devant toute l'école rassemblée dans la cour, on t'a mise à la porte de l'établissement. Tu es partie comme tu étais venue. Le visage dur, sans rien dire. Moi je pleurais.

Est-ce que c'était la pluie, est-ce que c'étaient des larmes. J'avais tellement peur que tu racontes à tout le monde les cochonneries que nous faisions dans les cabinets de l'école. J'avais tellement honte. J'avais tellement peur que mes parents soient horriblement déçus et ne m'aiment plus.

Alors j'ai demandé : "Qu'est-ce qu'elle a fait, la grande ? ". On m'a répondu qu'elle tapait les petits.

On ne m'a pas demandé à moi si elle me tapait moi aussi. Ou bien je n'en ai pas souvenir. L'école à repris comme avant. La vie a repris comme avant. On t'a chassée de l'école, mais rien ni personne n'aura jamais réussi à te chasser de mes pensées.

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