6-I) Le premier jour

Jeudi 10 février 2011

La rencontre, version 1 - Tu m'accosterais dans la cour, un matin de septembre, à l'heure de la récréation. Tu me demanderais gentiment pourquoi je ne joue pas avec les autres. Je te répondrais que la corde à sauter, la marelle, les "je te cause plus, t'es plus ma copine", ça me bassine. J'aime mes dînettes mais je ne le dis pas. Je veux te faire bonne impression, parce que ça me flatte qu'une camarade plus âgée s'intéresse à moi. Tu es de haute taille, le teint mat et le regard foncé. Je suis garçon manqué, timide et solitaire, et me tenir à l'écart c'est dans ma nature. Tu m'entraînes, sous un prétexte quelconque, en direction des cabinets. Peut-être pour me montrer quelque chose, ou m'apprendre un jeu qui sort de l'ordinaire.

La rencontre, version 2 - Un matin comme un autre, à l'heure de la récréation, je vais aux WC. Comme je m'apprête à fermer la porte, quelqu'un, surgi on ne sait d'où, m'en empêche et pénètre de force dans le cabinet. Comment te résister ? - Je suis plus jeune et plus faible que toi.

La rencontre, version 3 - Un matin comme un autre, à l'heure de la récréation, je vais aux WC. Là je tombe sur toi. Je te surprends en train de faire des trucs pas nets, comme taper un petit (c'est ta spécialité, c'est pour ça qu'on te chassera de l'école). Arrive ce qui doit arriver.

Dans tous les cas, je me trouve confrontée à quelque chose qui me dépasse. Ta haute taille, ta maturité, ta perversité me dépassent. Elles me clouent sur place et me persuadent, à mon insu, de soumettre ma volonté à la tienne.

Là tu vois j'essaie d'analyser le pourquoi du comment pour tenter d'y voir plus clair mais je me sens horriblement mal à l'aise. C'est le sentiment qui me poursuit depuis ce temps-là. Le sentiment de m'être fait complice de tes mésactions, par mon consentement tacite et mon silence et peut-être même, ma curiosité morbide, encore plus que ma complaisance.

Toute ma vie j'ai tenté toutes sortes d'expériences pour mettre à l'épreuve mon seuil de tolérance à la peur, repousser mes limites, aller au-delà de moi-même, jusqu'à me faire exproprier de moi-même.

Si tu n'étais rien d'autre, au fond, que ma première expérience ?